Aux mamans isolées … et aux autres
Je suis une privilégiée.
Née dans un milieu où la question de « bien travailler à l’école » et de « faire des études » ne se posait pas. Elle allait de soi.
Dès ma petite enfance, de nombreuses attentes et attentions entouraient mon berceau, dans un style marraine la bonne fée mâtinée de conseillère d’orientation, option grande bourgeoisie. J’aurais bien entendu mon bac, puis je m’inscrirais en études supérieures, avec le soutien financier de mes parents. Je ferais des séjours linguistiques, j’apprendrais la musique. Je lirais, beaucoup. Mes résultats scolaires me conforteraient dans l’idée que dans notre famille, on a une certaine ambition. J’aurais peut-être des enfants, je me marierais ou pas, mais une chose était sûre : je n’aurais pas d’inquiétude quant à ma sécurité financière.
Oh, il y a eu quelques accros dans le parcours. Mon père est mort avant que j’aie mon bac et avec lui une partie de mon enfance. Ma mère a été cette « femme seule avec deux enfants », nous nourrissant d’amour, d’encouragements à être bons à l’école et de beaucoup d’inquiétude quant au lendemain. Très tôt, je me suis dit qu’il faudrait que je réussisse, sans bien comprendre ce que cela signifiait. Malgré tout cela, construire mon avenir selon mes désirs était encore possible.
Mais cette femme n’a pas la même histoire.
Et je n’ai pas à exiger qu’elle me la confie, dans une forme de justification de sa situation. Le présent à lui seul est d’une logique implacable et cruelle : vivre avec plusieurs enfants sur un smic, c’est une galère sans nom. Parce que les enfants, faut les nourrir, leur payer des fournitures. Et puis quand on travaille avec des horaires « flexibles », la garderie, ça coûte cher. Sans compter que les prestations compensatoires, quand elles sont assurées, ne suffisent pas forcément non plus.
Faut-il avoir de bonnes raisons pour pouvoir exprimer sa difficulté à être parent et à vivre dignement ?
C’est gênant, une femme qui exprime sa détresse, qui lance qu’elle ne s’en sort pas, ravalant sa fierté pour enfin oser crier ses journées d’angoisse et de misère. Ça grince un peu aux entournures, on est quand même dans un grand pays qui donne toutes les chances de s’en sortir non ? On dira qu’elle n’a pas fait assez d’efforts. C’est plus confortable.
Ces « on » parlent depuis l’intérieur de leur cercle, mus par un fonctionnement de classe qui pense tout bas qu’au fond, les pauvres l’ont un peu cherché. Ils n’avaient qu’à mieux travailler après tout. Et puis le divorce, c’est acceptable quand on est riche. Sinon, il faut prendre sur soi.
Mesdames, fallait y penser avant. Ben oui mes petites, c’est pas très malin de se retrouver si pauvres avec vos gamins sur les bras. Mythe de la femme pauvre qui ne réfléchit pas avant d’écarter les jambes, pondant des mioches sans y penser. Fiction de l’homme qui doit subvenir aux besoins du foyer sous peine d’être taxé d’infamie. Récit de l’enfant bien né méritant toutes les attentions, destiné à devenir quelqu’un.
Toutes ces croyances projetées sur l’humain me font mal au bide. Qu’il est triste de percevoir le monde ainsi !
Aujourd’hui, c’est aussi le jour du dépassement pour les femmes en France. Selon l’office européen des statistiques Eurostat, le salaire moyen des femmes est inférieur de 15,4 % à celui des hommes. A partir de ce 5 novembre 2019, elles travaillent donc gratuitement. Certaines le faisaient déjà pour pas grand-chose. Lors d’une séparation, le niveau de vie des femmes isolées baisse en moyenne de 14% selon l’Insee, alors même qu’elles continuent d’assumer souvent en grande partie la charge parentale, que ce soit par le temps accordé à l’enfant ou le budget consacré à leur alimentation, scolarité et confort de vie. Cette baisse de niveau de vie culmine à 34% chez les femmes des milieux les plus pauvres.
Encore et toujours, ce sont les mères qui trinquent, et j’aurais préféré parler de mojito.